1 – Les fondamentaux
Le bail commercial organise la location de locaux destinés à une activité commerciale, industrielle ou artisanale. C’est un support essentiel de l’activité commerciale. Il donne lieu à d’innombrables contentieux.
La « Propriété commerciale »
L’emplacement
Historiquement, ces baux concernaient pour l’essentiel des boutiques. Activité et achalandage local évoluaient de concert. Le développement de l’un favorisait le développement de l’autre. Déménager, c’était perdre la clientèle fidélisée, liée à un emplacement.
Le statut
Le législateur créa donc un « Statut » spécial pour stabiliser et protéger le fonds développé dans des lieux loués : durée minimale du bail, règlementation des conditions de sortie ou de renouvellement, encadrement du loyer, etc. C’est la « propriété commerciale » du « preneur à bail » (locataire). Cette propriété commerciale du locataire limite les droits du bailleur, « propriétaire des murs ».
En principe, le propriétaire ne peut évincer son locataire pendant la durée du bail, qui a vocation à se renouveler, hors cas exceptionnels et moyennant paiement d’une indemnité.
En contrepartie, certains bailleurs exigent une sorte de droit d’entrée. C’est le « pas-de-porte ». Ce droit est négocié selon la force d’attraction des lieux sur une clientèle. Ce pas-de-porte s’analyse comme un supplément de loyer (déductible des bénéfices sur la durée du bail) ou comme une indemnité (non déductible).
Une réglementation stricte méconnue malgré les intérêts en jeu.
Une liberté encadrée
Le Statut figurait dans un décret n° 53-960 du 30 septembre 1953. Il est largement codifié aux articles L.145-1 à L.145-60 et R.145-1 et suivants du code de commerce. Ces textes sont régulièrement corrigés (ex. : loi Pinel n˚ 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux TPE). Ils se greffent sur le droit commun du bail (Art. 1714 et suivants du code civil).
Des bombes à retardement
Certains de ces textes sont obligatoires. D’autres s’appliquent quand les parties n’ont rien prévu d’autre. Car en dehors du cadre légal impératif, le principe est celui de la liberté. Mais en pratique les lois sont vécues comme des règles « couperet » aux effets inattendus. Et la liberté contractuelle permet à certains professionnels de multiplier des pièges dans lesquels tombent les parties non-initiées ou mal assistées.
Les effets positifs ou négatifs d’une négociation sont rarement compris et ressentis dans l’immédiat. Ils apparaissent parfois plusieurs décennies après la signature du bail !
Les montants à la clef sont souvent conséquents.
La protection du fonds d’un commerçant ou artisan régulièrement inscrit
Les parties concernées
En principe, seuls des preneurs dûment immatriculés au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers bénéficient du Statut (Cass. civ. 3, 28 mai 2020, n° 19-15001).
Cette règle anodine est source de difficultés pratiques.
Et les sanctions sont lourdes pour l’entrepreneur négligeant ou superficiel. Oublier de tenir son K-bis à jour, c’est courir le risque de se retrouver « sans droit ni titre », contraint de quitter les lieux contre son gré.
A l’inverse, le locataire qui veut quitter les lieux doit vérifier soigneusement l’identité de ses interlocuteurs, les clauses du bail et ne pas s’en contenter, s’il ne veut pas courir le risque d’avoir à payer inutilement 3 ans de loyer et charges.
Le Statut des baux commerciaux peut être choisi pour des professionnels libéraux (loi LME n° 2008-776 du 4 août 2008).
Les locaux protégés
Logiquement, le Statut ne s’applique qu’aux locaux nécessaires à l’exploitation d’un fonds de commerce (Art. L.145-8 du code de commerce ; Cass. Civ. 3, 16 juin 2004, n° 03-11314). Il concerne le local principal, mais aussi certains locaux accessoires.
L’étendue de la protection différera selon la nature des locaux. Les locaux monovalents (bureaux, hôtel…) font l’objet d’un traitement spécifique.
2 – Les éléments de stabilité : prix et durée
Eléments financiers (loyer, charges, garanties)
Loyer
Les parties négocient librement le loyer initial. Ce loyer peut être révisé de façon triennale, mais de façon limitée.
Les parties conviennent généralement de l’indexer sur un indice publié par l’INSEE. Les plus souvent, il s’agit de l’ICL (indice des loyers commerciaux). Dans ce cas, l’indexation doit jouer aussi bien à la hausse qu’à la baisse (Cass. Civ. 3, 14/01/2016, n° 14-24.681 ; 29/11/2018, n° 17-23.058 ; 19/11/2020, n° 19-20.405 ; 30/06/2021, n° 19-23.038). A défaut, la stipulation prohibée – et elle seule – doit être réputée non écrite. (Cass. Civ. 3, 12/01/2022, n° 21-11.169 ; 17/02/2022, n° 20-20.463).
La loi permet dans certains cas de « déplafonner » le loyer pour l’ajuster sur le prix de marché local, en cours de bail ou lors de son renouvellement. Il n’est pas tenu compte des éléments postérieurs à la date d’effet du renouvellement (Cass Civ. 3, 9/3/2022, n° 20-19188). Les variations à la hausse sont lissées à 10% par an.
La fixation du loyer du bail renouvelé reste source de nombreux contentieux.
Charges
De même, les charges doivent être réparties clairement entre le bailleur et le locataire.
La loi, depuis 2014, met en principe à la charge du propriétaire les frais des remises à niveau, dépenses et honoraires relatifs aux grosses réparations (Art. 606 du Code civil), certains impôts, taxes et redevances dont le redevable légal est le propriétaire (hors foncier et les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du bien ou à un service dont le locataire bénéficie), les frais de gestion locative, les frais imputables à d’autres locataires ou à des locaux vacants.
La loi « Pinel » a ainsi mis fin à la pratique anglosaxonne des loyers « triple nets » du « bail investisseur » répercutant toutes les charges, taxes et frais sur le locataire. La pratique des investisseurs évolue donc. Certains demandent au locataire d’assumer toutes les dépenses, sauf celles qu’il est interdit de mettre à sa charge selon la réglementation en vigueur. Les propriétaires de galeries commerciales continuent d’imposer de fait à leurs locataires d’adhérer à des « associations de commerçants » chargées d’entreprendre notamment des actions promotionnelles, dont les frais sont partagés entre les locataires-adhérents. Ces pratiques donnent régulièrement lieu à des contentieux et à des interventions législatives.
Les modalités de paiement du loyer sont également négociables (virements ou prélèvements, mensuels ou trimestriels, d’avance ou à terme échu…).
Le paiement intervient en principe en même temps qu’est réglée une « provision » sur charges. Ces paiements d’avance sur charges donnant lieu à une « régularisation » annuelle, avec paiement complémentaire ou remboursement. Il incombe au bailleur d’établir sa créance en démontrant l’existence et le montant des charges, faute de quoi, le preneur peut solliciter la restitution des provisions déjà versées.
Garanties
En règle générale, il est réclamé un « dépôt de garantie ».
Son montant dépend des modalités de paiement du loyer. En effet l’article L.145-40 du code de commerce prévoit que les sommes payées d’avance (loyer, garantie…) portent intérêt au profit du locataire pour ce qui excède deux termes de loyer. Et la pratique montre que les propriétaires répugnent à calculer et payer des intérêts. Ils demandent donc un dépôt de garantie d’un trimestre si le loyer est payable trimestriellement d’avance (terme à échoir), mais d’un mois seulement si le loyer est mensuel. Le montant de ce dépôt peut être doublé si le loyer est payé en fin de période (terme échu).
Les propriétaires peuvent également négocier en sus ou en substitution d’un dépôt de garantie des cautions personnelles ou bancaires et des garanties diverses. Beaucoup de propriétaires rechignent à restituer les dépôts de garantie en fin de bail. En réaction s’est développée une pratique – en principe strictement prohibée – d’utiliser le dépôt pour payer les derniers loyers et avances sur charges.
Une visibilité sur 3-6-9 ans, renouvelable
La durée
Le Statut impose de laisser le preneur dans les lieux pour une durée fixée d’au moins 9 ans (Art L.145-4 du code de commerce), avec une faculté limitée de mettre fin au bail au terme de 3 ou 6 ans : c’est pourquoi le bail commercial est souvent qualifié de bail « 3-6-9 ».
Echappent à cet impératif les locations saisonnières et quelques baux dérogatoires dont la durée est limitée à 2 ans ou liée à des événements exceptionnels. A l’inverse, il est permis de conclure des baux pour des durées supérieures à 9 ans, sachant qu’un bail de plus de 12 ans nécessite des formalités et publicités particulières. Depuis quelques années, les baux de plus de 9 ans connaissent un regain de popularité auprès des bailleurs : ils permettent de s’affranchir de certaines règles protégeant les locataires à l’issue du bail. De nombreuses galeries commerciales proposent systématiquement des baux de 10 ans. Sont exclus de cette étude les baux spécifiques d’une autre nature (baux ruraux, emphytéotiques/à construction, etc.)
La fin ou la poursuite des relations
Le bail prend fin sur délivrance d’un « congé » notifié au moins 6 mois avant le terme. Le locataire peut le donner sans avoir à se justifier. Il peut aussi y renoncer de façon non équivoque (Cass Civ. 3, 26/01/2022). Le bailleur ne peut donner congé que pour l’un des motifs prévus par la loi (Art. L.145-17 et s du code de commerce). Certains baux de plus de 9 ans ou portant sur des locaux monovalents (ex. : hôtel), à usage de bureaux ou de stockage sont conclus initialement pour une durée « ferme » impliquant une renonciation au droit de mettre fin au bail au bout de 3, 6, voire 9 ans. Cette renonciation est généralement négociée en contrepartie d’avantages exceptionnels accordés lors de l’entrée dans les lieux (absence de pas-de-porte, exécution de certains travaux, franchise ou réduction de loyers, etc.)
En fin de bail, le bail commercial ne prend pas fin automatiquement. A défaut de congé, il se poursuit : on dit à présent qu’il se « prolonge ». Le locataire bénéficie d’un droit au renouvellement du bail pour la même durée que le bail initial. Le loyer du bail renouvelé est en principe plafonné. Mais il existe des exceptions justifiant un alignement du prix sur le marché local. Ce qui génère un abondant contentieux. En attendant la fixation du prix, le preneur continue de payer le loyer initial, mais devra payer la différence avec le loyer du bail renouvelé depuis le renouvellement, outre les intérêts à compter de l’assignation en fixation du prix (Cass. Civ. 3, 9/09/2021, n° 19-19.285).
La sortie effective… ou non
Le bailleur qui donne congé en refusant le renouvellement du bail est redevable d’une indemnité d’éviction, sauf si ce refus est justifié par des motifs graves et légitimes (Art. L.145-14 et s. du code de commerce). Le locataire peut se maintenir dans les lieux tant que l’indemnité d’éviction ne lui a pas été versée. Une fois son versement intervenu, il dispose encore de trois mois pour quitter les lieux. Tant qu’il se « maintient » ainsi dans les lieux, le locataire est redevable d’une indemnité d’occupation fixée à la valeur locative, sans application des règles de plafonnement (Cass. Civ. 3, 17/06/2021, n° 20-15.296).
L’indemnité d’éviction est supposée réparer intégralement le préjudice subi du fait de la résiliation du bail. Les juges du fond l’évaluent souverainement en se fondant généralement sur différentes méthodes de calcul, dont la capitalisation du différentiel de loyers ou du loyer théorique. En l’absence de différentiel, ils doivent tenir compte au moins de la valeur du droit au bail des locaux perdus (Cass. Civ. 3, 13/10/2021, n° 20-19.340). Souvent négocié, son montant évolue généralement entre les frais de déménagement et la totalité de la valeur vénale du fonds. Le fait que l’indemnité d’éviction ne soit pas « plafonnée » a donné lieu à des débats judiciaires allant jusqu’à un recours au conseil constitutionnel : ne porte-elle pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur ?
Lorsque l’indemnité est chiffrée judiciairement, le propriétaire dispose encore de 15 jours pour se « repentir » et préférer renouveler le bail plutôt que payer une indemnité et récupérer les locaux. Ce n’est qu’alors que les règles de plafonnement peuvent jouer. Le repentir doit être exercé de bonne foi, avant que le locataire engage un processus irréversible de départ dont il n’a pas à informer le propriétaire (Cass. Civ. 3, 15/12/2021, n° 21-11.634).
Le non-respect des obligations du bail peut justifier sa résolution du bail ou sa résiliation judiciaire, avec sanctions financières. Le tout débouchant généralement sur une expulsion du locataire.
3 – Focus sur quelques obligations
Bailleurs : une obligation d’information croissante mais imparfaite
La loi impose au propriétaire de fournir aux preneurs de plus en plus d’informations et documents (risques naturels et technologiques, diagnostics de performances énergétiques, amiante, état des lieux, catégories de charges, état prévisionnel et récapitulatif des travaux, procès-verbaux des assemblées générales de copropriété).
Ces éléments doivent être récents. Un état des risques de plus de six mois justifie la résolution du bail, les juges du fond étant plus sévères que la Cour de cassation elle-même (Cass. Civ. 3, 10/09/2020, CA Paris P.5 Ch. 3, 2/02/2022, n°20/14673).
La prudence les oblige également à décrire soigneusement les locaux loués : plans, surface et modalités de calcul des surfaces, numéro des lots, inclusion ou non d’un droit de jouissance exclusive sur une partie commune d’un lot compris dans un immeuble en copropriété (Cass. Civ. 3, 23/09/2021, n° 20-18.901).
Activité autorisée & déspécialisation
Le propriétaire doit-il maîtriser ce qui se passe chez lui ?
Le bail « tous commerces » permet d’exercer toutes les activités licites dans les lieux loués. Cependant, un bailleur cherche souvent à les limiter. En tant que « propriétaire » des murs, il est compréhensible qu’il contrôle ce qui se passe dans son bien.
Certaines activités se heurtent à des difficultés réglementaires ou matérielles, suscitent l’hostilité de tiers avec lesquels le propriétaire peut avoir conclu des accords ou souhaiter rester en bons termes. Ce qui peut l’amener à limiter les nuisances sonores ou olfactives, refuser de voir s’installer des activités concurrentes ou favoriser la complémentarité de l’offre commerciale locale…
Evolution des activités
Solliciter la modification de l’activité autorisée voire une « déspécialisation » en cours de bail s’accompagne généralement d’une négociation sur le montant du loyer. Le plus souvent, l’ajout d’activités connexes ou complémentaires (déspécialisation partielle) ne posera pas de difficulté. Un changement plus radical (déspécialisation plénière) nécessite en pratique l’accord du bailleur ou un recours aux magistrats.
L’état des lieux d’entrée, en cours et au terme du bail
L’état des locaux à l’entrée des lieux, en cours de bail et à la restitution des locaux en fin de bail est également un point d’attention dans le cadre des négociations, avec des implications financières non négligeables à provisionner comptablement si besoin. La loi impose aux propriétaires d’établir un état des lieux contradictoire d’entrée pour ne pas perdre le bénéfice de la présomption de « bon état » (Art. 1731 du code civil et Art. L.145-40-1 du code de commerce).
4 – Les parties prenantes et le fonds
Interdiction de principe d’introduire des tiers
Le bailleur a un droit de regard sur l’identité des occupants des lieux dont il est propriétaire.
En principe, la sous-location des locaux est interdite (Art. L.145-31 du code de commerce).
Il est donc de l’intérêt des groupes, toujours susceptibles de créer de nouvelles filiales ou d’entreprendre une réorganisation, de négocier d’avance l’autorisation d’héberger d’autres sociétés que le locataire. Obtenir d’avance une autorisation de sous-louer présentera des avantages certains s’il faut traverser des situations difficiles.
Des droits liés au fonds de commerce
Cession
Traditionnellement, le bail commercial peut être transféré à l’acquéreur du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, sans que le propriétaire puisse s’y opposer, notamment en cas de départ en retraite.
Tout au plus le bailleur peut-il subordonner l’opération au respect d’un formalisme, qui est alors de rigueur. Il faut généralement l’avertir de la cession envisagée avec un certain préavis, faire intervenir un notaire, permettre au bailleur de participer à l’acte de cession ou lui en notifier un original.
En revanche, rien n’oblige le bailleur à accepter la cession du contrat de bail faite hors du cadre d’une cession du fonds de commerce. Si elle est autorisée, une cession de bail seul s’analyse en une cession de créance. Elle impose de s’assurer de l’attitude des créanciers inscrits du locataire, à commencer par le fisc.
Préemption
Depuis quelques années, le locataire peut acquérir le local loué si son propriétaire le met en vente, sans honoraires de négociation (Cass. Civ. 3, 28/06/2018, n° 17-14.605). Ce qui n’empêche pas le bailleur de commencer à chercher un acquéreur et même de conclure une promesse unilatérale de vente conditionnelle avant que le locataire se soit prononcé (Cass. Civ. 3, 23/09/2021, n° 20-17.799). Le droit de préemption du locataire ne joue pas en cas de vente de gré à gré de l’immeuble dans le cadre d’une liquidation judiciaire, à laquelle le locataire ne peut s’opposer (Cass Com, 23/03/2022, n° 20-19.174).
5 – Questions judiciaires
Contentieux du bail
Le bail touche à l’immobilier. C’est-à-dire à la source stable la plus importante de la propriété traditionnelle. D’où une frilosité particulière de la loi, qui ne permet ni de choisir la loi ni la juridiction compétente en matière de baux commerciaux.
Il convient donc de s’adresser aux juridictions civiles du lieu de situation de l’immeuble (Art R145-23 du code de commerce).
Les questions relatives au prix du bail révisé ou renouvelé relèvent de la compétence du président du tribunal judiciaire. Les autres litiges sont de la compétence du tribunal judiciaire proprement dit.
La répartition des compétences donne régulièrement lieu à des difficultés (Cass. Civ. 3, 15/02/2018, n° 17-11.329). Le Tribunal de Commerce est compétent pour le recouvrement de loyers commerciaux auprès d’une société commerciale locataire (Art. L.721-3-1 du Code de commerce) tandis que la clause attributive de compétence n’est pas applicable au propriétaire s’il n’est pas commerçant (CA Paris P.5 Ch.3, 16/03/2022, n°21/20612)…
Prescriptions normales ou abrégées
Le délai pour agir (prescription) est de 2 ans pour les questions d’application du statut (Art. L145-60 du code de commerce).
Les actions touchant au droit commun du bail sont soumises à la prescription de droit commun.